Tabagisme: en parler, le comprendre…

Le tabagisme est la première cause de mort évitable dans le monde. À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, ce 31 mai, le Dr Spirlet nous rappelle que le plus grand service que l’on puisse rendre à nos patients est de les libérer de cette mortelle addiction et qu’il s’agit de l’intervention la plus cost-effective qui soit, même en tenant compte du taux d’échec.

Toute consultation médicale devrait faire l’objet d’une identification du statut tabagique, de la motivation à l’arrêt et de la maturation à l’arrêt. Et à défaut de prendre en charge l’aide au sevrage tabagique, reste l’option de référer le patient en consultation de tabacologie.

Pourquoi êtes-vous tabacologue?
Dr François Spirlet: En pneumologie, la moitié au moins du travail consiste à parler du tabagisme avec les patients. De nombreuses pathologies respiratoires sont liées au tabac. Pour ne citer que quelques exemples flagrants, 85-90% des BPCO et des cas de cancer du poumon sont liés à un tabagisme actif, tandis que bien d’autres pathologies respiratoires y sont associées, comme la fibrose pulmonaire, des bronchiolites…

L’arrêt du tabac est le meilleur de tous les traitements – au moins dans la BPCO (amélioration de la symptomatologie, ralentissement de la dégradation de la fonction respiratoire, qualité de vie améliorée, meilleure oxygénation, réduction du nombre d’exacerbations, amélioration de la capacité physique (test de marche de 6 minutes) – et améliore significativement le pronostic d’autres pathologies respiratoires et extra-respiratoires.

Selon une revue de 26 études parue dans le BMJ (1), l’abandon du tabac est associé à une réduction de la dépression, de l’anxiété et du stress, ainsi qu’à une amélioration de l’humeur positive et de la qualité de vie par rapport à la poursuite du tabagisme. L’ampleur de l’effet apparaît égale ou supérieure à celle du traitement antidépresseur pour les troubles de l’humeur et de l’anxiété.

Proposer une aide au sevrage tabagique m’apparaissait dès lors on ne peut plus logique…
Thème de l’année: 
les maladies respiratoires, alors que c’est une évidence…
Dr François Spirlet: Il est bon de rappeler l’essentiel. Les gens ne se rendent pas compte de l’impact majeur de la cigarette sur la sphère respiratoire. En la matière, la sous-estimation est la règle.

La cigarette a la propriété d’altérer nos facultés olfactives, gustatives, ainsi que de nombreuses autres perceptions. Le fumeur ne se rend plus compte qu’il sent mauvais, que son haleine est fétide. Même la dangerosité de la cigarette – qui est aussi une perception cognitive – n’est plus correctement perçue par le fumeur. Il en est de même pour toutes les addictions fortes. Un drogué en manque trouvera normal de voler dans le sac de sa mère pour se payer sa «dose». Sa perception du monde est donc différente.
Reste qu’il faut être bien conscient que le fumeur n’est pas coupable de fumer, mais qu’il est victime du tabac!

Une approche systématique 
et positive…
Dr François Spirlet: Notre travail est de recadrer le fumeur et son addiction. Chaque patient qui fume est ramené à la réalité en cours de consultation. Le patient fumeur est dissonant par rapport à son corps. Par un processus de déni/d’oubli sélectif, il ne se rend pas/plus compte que 20x/j il s’empoisonne.

40% des fumeurs rencontrés en consultation sont des fumeurs satisfaits de leur consommation. Insister dans le sens d’un arrêt crée une résistance, voire un blocage de la relation thérapeutique (2). On renvoie alors positivement le projet de cessation à une date ultérieure (= suggestion positive): «Vous n’êtes pas prêt, semble-t-il. Ne vaut-il pas mieux une belle réussite à la prochaine saison…». L’intonation, le non-verbal sont très importants. Idéalement, le langage utilisé est calé sur le canal préférentiel du patient (langage visuel, auditif, kinesthésique…; PNL).

40% des fumeurs sont hésitants (dissonants). Ils savent qu’ils doivent arrêter et envisagent de le faire dans un avenir plus ou moins proche. Il faut respecter leur hésitation. Si le patient est bien conscient des méfaits du tabac, il n’est guère utile de s’étendre sur ces derniers. On sait depuis Freud que notre inconscient n’entend que le positif. Très vite, on passe à la formulation des avantages à se passer du tabac, en ne s’appuyant que sur des termes positifs, telles liberté ou santé. Lors de sa communication avec le patient, on exprime de l’empathie, en veillant au choix des mots et de leurs nuances: par exemple, on lui dit que ce n’est pas facile, non que c’est difficile. Ainsi, on le fait réfléchir aux bénéfices actuels à fumer, aux inconvénients actuels à fumer et aux bénéfices attendus d’un éventuel arrêt (2). Quelle motivation va-t-il trouver pour surpasser 
l’attache à la cigarette?

10 à 20% sont décidés à arrêter. Ces fumeurs sont en conflit maximal avec leur consommation. Il n’est plus utile d’évoquer les risques, mais bien de les aider à passer à l’action, en les aidant à choisir les solutions thérapeutiques les plus appropriées et à exprimer leurs motivations intimes (2).

La moitié des fumeurs réguliers verront s’installer un sevrage, d’intensité variable, lors de tentatives d’arrêt (1). Ces symptômes physiques peuvent être très durs à supporter. Ils surviennent dans les 24 heures et durent en général de 5 à 7 jours et parfois un mois. Au-delà d’un mois peuvent persister l’habitude, les automatismes… La dépendance physique est traitée de manière médicamenteuse (éventuellement par l’hypnose, mais ceci n’est pas validé scientifiquement).

Les dépendances psychologiques et comportementales sont présentes chez 80% de fumeurs (2). Leur approche est davantage «stratégique». Il s’agit de changer les habitudes et de modifier le rapport à la cigarette (thérapie cognitivo-comportementale). Cette approche demande une formation spécifique.

Quid du tabagisme passif?
Dr François Spirlet: Le tabagisme passif est systématiquement évoqué avec les patients respiratoires, qu’ils soient victimes ou «bourreaux».

On distingue trois courants dans la fumée: le courant principal que le fumeur inhale, le courant tertiaire qui est celui que le fumeur exhale et le courant latéral (ou secondaire), qui s’échappe directement de la cigarette fumante. Celui qui ne fume pas activement «profite» malheureusement du courant latéral et du courant tertiaire. La fumée du courant secondaire contient davantage de toxiques (monoxyde de carbone, oxydes d’azote…) et de cancérogènes (goudrons, benzène…) que celle du courant principal. La fumée du courant latéral est très diluée, mais le temps d’exposition dans une journée, par exemple pour un barman, et la durée d’exposition dans une vie peuvent être très importants et débuter dès la petite enfance. Or, les modèles de risque de cancer du poumon chez les fumeurs montrent que la quantité de tabac fumé augmente le risque à la puissance 2, alors que la durée d’exposition augmente le risque à la puissance 4,5, ce qui souligne bien l’importance de la durée d’exposition (3).

Il est démontré que le tabagisme passif intervient dans la pathogenèse des maladies respiratoires obstructives (via le stress oxydatif et l’altération des voies immunitaires) et de leurs exacerbations comme dans celles des néoplasies respiratoires. Nombreux sont les exemples de patients qui développent des pathologies respiratoires chroniques sans avoir fumé eux-mêmes, mais en ayant vécu dans l’entourage d’un fumeur pendant plusieurs années. En pareil cas, au minimum, le fumeur doit aller fumer à l’extérieur. Mais en arrêtant de fumer, il préserve sa santé comme celle de son conjoint; il fait d’une pierre, deux coups…

Journée mondiale sans tabac
Dr François Spirlet: Dans le cadre de la journée mondiale sans tabac, l’unité de tabacologie que nous formons avec les trois cliniques de Mont Godinne, Sainte Elisabeth et Dinant a prévu diverses actions de sensibilisation le mercredi 29 mai. D’abord, nous tiendrons un stand à l’entrée de l’hôpital, visant à conscientiser les visiteurs par l’intermédiaire de brochures, mais aussi de mesures spirométriques et de CO. En interne, nous organisons des enquêtes ou jeux testant les connaissances du personnel sur le tabagisme.

Nous croyons ces campagnes de sensibilisations utiles. Cependant, comme le Pr Galanti le précise, elles doivent s’inscrire dans un contexte de mesures globales visant à prévenir et à réduire le tabagisme. Si un jeune pense que fumer est la norme, il y a plus de risques qu’il consomme du tabac. Nous devons donc rappeler que la norme, c’est d’être non-fumeur (70% de la population)…

  • Références
    1. Taylor G, et al. BMJ 2014;348:g1151
    2. G Errard-Lalande. Rev Mal Respir 2005;22:8S15-8S26.
    3. B Dautzenberg, et al. ADSP 2001;36:65-8.

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